La « Street Photography » est-elle un art ou un état d’esprit ? Tous les photographes naturalistes, réalistes, ou «humanistes» se sont essayés à l’exercice. Capter l’instant remarquable, fragile, magique, ce petit rien d’espace-temps qui ne se représentera plus jamais, là, dans la rue, lors d’une balade plus ou moins improvisée. Selon les personnalités, il peut s’agir tout aussi bien d’un instinct maraudeur qui vous pousse dehors irrésistiblement, d’une envie irrépressible de faire l’école buissonnière, d’un hobby compulsif ou d’un simple passe-temps. Dites « photographe de rue » et, immanquablement, surgiront les noms et les images quasi iconiques de Doisneau, Cartier Bresson, Boubat, Atget, Willy Ronis …pour la France. Pour les Etats-Unis ce seront Vivian Maier, Saul Leiter, Walker Evans, Hélène Lewitt Lisette Model, Bruce Gilden…. Ces photographes furent ou sont encore de merveilleux observateurs, des yeux absolus comme il existe des oreilles absolues, rien ne leur échappe. Sentinelles éveillées, témoins de leur époque, médiums, passeurs de l’invisible, ce sont tous des collectionneurs de rêves. Pas de mise en scène, pas de direction d’acteur, pas d’éclairage pensé, juste être réceptif aux « propositions du hasard » et se trouver au bon moment au bon endroit. Mais certaines coïncidences sont si belles, certaines rencontres si exceptionnelles, que le photographe lui-même est en droit de douter que seule sa chance ait pu suffire à le guider là. Il semblerait bien qu’on ait la chance qu’on mérite et, qu’au final, ce fameux hasard ne se manifeste que pour ceux doués d’un certain état d’esprit. Moi, je me sens l’esprit vagabond, maraudeur, chineur. Pour rien au monde je n’attendrais que le monde s’offre à moi, je vais à sa rencontre. Je me mets en chasse, je flaire, le Leica au vent, je remonte ces fameuses pistes du hasard qui me guident vers toujours et encore plus de surprises, d’émerveillements devant le ballet humain et son théâtre parisien. A chaque photographe sa technique d’approche, directe ou plus subtile. Mais je m’interroge sur ce qui me pousse…Désir de partager, peut-être d’exhiber, autant de photos comme autant de trophées ? Volonté de témoigner du beau, du rare, de cet ineffable partout présent, masqué par la banalité, et qui, pourtant, sait s’offrir aux regards patients ? Courir après mon propre plaisir, égoïstement : celui d’avoir « réussi » un bon cliché, cueilli une étincelle et même, trop rarement, côtoyé le sublime ? Aujourd’hui tout le monde peut être voyeur, prendre ou voler puis accumuler des milliers de clichés, décider ou non de les publier. Des milliers d’images prêtes à consommer puis bonnes à jeter sont offertes à tous, partout, tout le temps. Les médias interconnectés relaient et multiplient, croisent et recroisent, amplifient et défont les regards, les intérêts et les passions. Les smartphones, les sites dédiés, Facebook, Pinterest, Flickr, les blogs perso. ou pro. comme ceux de Steeve Huff ou Pixfan fourmillent d’aventures banales ou étonnantes ; de nouveaux outils, reflex, bridge, APS fournissent un véritable arsenal numérique pour…quoi ? Dans une société à la fois follement exhibitionniste et épidermique sur ses droits à l’image, tous essaient de laisser une trace (leur trace ?), de garder la mémoire de cet instant présent si fugitif et qui les ancre dans une réalité dont ils doutent peut-être. Je ne crois pas que cela rendra notre époque immortelle. Paris et les gens que j’y croise m’offrent à chaque fois la magie surprenante d’un ailleurs, d’un autrement, d’un réel embelli, transfiguré. Je regarde Paris en face, comme le “ketje” bruxellois émerveillé que je suis resté. C’est peut-être cela mon projet : rester amoureux d’une ville qui m’a beaucoup donné, continuer de la désirer et la donner à voir comme je l’aime, c’est-à-dire rehaussée d’une magie secrète, la magie d’un hasard chanceux fait de petits miracles délicieux. Je suis photographe de rue comme on était musicien des rues, vendeur de rue, ou colporteur. Bonne ou mauvaise fortune et Providence guident mes pas. Voici quelques images, comme autant d’histoires et autant d’émotions. Quelques-uns des instants présents dans Facing Paris. David Ken
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