Photographe de mode et de publicité pour les grands, David Ken est plutôt habitué à photographier la beauté figée et codifiée des mannequins et autres modèles de représentations destinés à faire rêver les consommateurs, ces consom’acteurs de l’image de soi. Ici, il n’est point question de saisir cette beauté froide et plate, mais bien au contraire de revenir aux racines de la photographie: celles captant l’énergie, l’émotion, la liberté d’expression. « Saisir l’éclat de rire, ce moment magique de perte de contrôle où notre image nous échappe ». Et l’on peut dire qu’il y parvient merveilleusement bien. Empreinte de liberté et de fraîcheur, son oeuvre est une ode à la joie et au « lâcher-prise » et a pour ambition de révéler l’esthétique du rire, de véhiculer la légèreté de ce moment, et de propager ici et maintenant cette « bonne humeur salvatrice » à travers les rues de la capitale: « I LOL Paris ».
Effectivement, « ça fait du bien » de rire comme ça! Et quel moment de connivence et de complicité avec David! Le rire n’est-il pas, d’ailleurs, le meilleur mode de communication non-verbal? On connaissait déjà les vertus et bénéfices du rire sur notre métabolisme: nourrissant les tissus nerveux et musculaires, le rire opère comme une cure de rajeunissement. Peu importe la façon dont celui-ci est déclenché, le résultat est toujours le même: le cortex cérébral est déconnecté. Quel meilleur moyen pour s’extirper quelques instants d’un quotidien stressant de rire aux éclats, de se laisser aller au fou rire et à la décontraction?! Le rire a également une fonction démhystificatrice, agissant comme une sorte de thérapie, telle une revanche sur ce qui accable l’esprit. Véritable exutoire, le rire permet la dénégation éphémère du poids du monde établi, de la tyrannie politique et culturelle aux lois économiques et morales du social rationnel. Hannah Arendt l’indiquait: « le rire (…) veut réconcilier l’homme avec le monde » ( « De l’humanité dans de sombres temps » inVies politiques, Paris, Gallimard, 1974, p.11-41)
En effet, le lâcher-prise permettant d’accéder au plaisir nous fait parvenir à une prise de conscience plus intense que le réel lui-même; à l’instar de ce qu’énonce Michel Maffesoli (dans ses séminaires), il s’agit d’accéder à l’aleteïa, autrement dit la vérité d’un moment, qui a, de nos jours, davantage de valeur que la Vérité, une et universelle. Ce moment d’éclate totale, de lâcher-prise, est la magie d’un instant, ici et maintenant; il s’agit d’une sorte de subjectivité de la perte, en écho à la proposition nietzschéenne de la perte de soi dans l’autre, et qui participe au processus d’individuation jungien pemettant de se réaliser dans la reliance, ce primum relationis. Cet « éclatement » de l’individu est un processus d’interaction nouveau entre le projet sociétal et l’individu, et un des fondements de l’entrée dans ce nouveau paradigme postmoderne.
Le lâcher-prise obtenu par le fou rire indique bel et bien une perte de contrôle et marque un acte de confiance, manifestant la capacité de faire avec ce qui est dans le présent, et de s’en détacher. L’image du rire, comme le jeu, est le propre de l’homme. Jean Duviganud montre, quant à lui, que « le rêve, la fête, le rire, le jeu, l’imaginaire sous tous leurs aspects constituent, dans les formes diverses de l’expérience collective, la part irrécupérable par toute organisation de quelque importance». Ces figures, ajoute-t-il, secouent l’être pour l’ouvrir au champ du possible, à la région immaîtrisée du virtuel. Rire, selon la belle formule de Jean Duvignaud, témoigne de notre «disponibilité au rien ». C’est s’ouvrir à quelque chose qui échappe à toute emprise, qui participe du jeu de l’utopie et d’une vitalité créatrice. Cette percée vers l’inaccessible «bouleverse les données du bricolage patient et sécuritaire des croyances et des mythes» (Le don du rien, Paris, Stock, 1977, p.272-277).
Ainsi, je ne pourrais terminer cette note que par ces mots: MERCI David pour ce grand moment de bonheur et de plaisir mêlé, pour ces instants de lâcher-prise, cette connivence que tu as su créer pendant ces quinze minutes de shooting. Merci pour la déconnexion, la décontraction et l’exutoire. Et, bien sûr ,merci pour le cliché qui révèle la partie la plus belle de ma personnalité, fait resplendir mon « moi » heureux, et qui est fort apprécié par les gens qui m’aiment, leur rappelant des moments de fous rires partagés.